Mémoire truquée est le roman par excellence de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, pètent un câble, pour parler comme les électriciens. L’histoire se donne d’emblée comme une énième resucée du mythe hollywoodien du psychologue-taré-malgré-lui, qui manie la subversion mentale dans l’intention de conditionner ses patients et d’en faire les «jouets» de machinations perverses. Le tout sur fond d’agoraphobie, de haïkus subliminaux, de débauche sexuelle… et de bière chinoise. Avouez que ça donne envie, non ? Cela étant, il faut reconnaître que ce récit d’un Mabuse de la Psyché vous happe comme pas un : une attraction qui est fonction moins de l’esprit torturé du docteur Ahriman que des abysses psycho-schizoïdes qu’ouvre obligeamment pour nous Koontz, un des maîtres incontestés du thriller psychologique.

Ainsi, lorsque le «seigneur de la mémoire» utilise l’hypnose pour instiller l’autophobie (la peur de son ombre, l’angoisse d’être soi) à Martie Rhodes, on accède aux 200 premières pages d’un délire si froidement organisé qu’on se refuse à lâcher le livre : en passe de devenir un parfait robot obéissant à la moindre injonction d’Ahriman, Martie perçoit bientôt les ustensiles anodins autour d’elle comme autant d’armes meurtrières. Voilà qui ouvre une «quatrième dimension» aux clés de contact et autres sèche-cheveux que nous avons trop tendance à négliger. C’est pour ces pages où la paranoïa vient percuter le quotidien que Mémoire truquée perturbera quelque peu le lecteur. Il faut croire que même les correcteurs de Robert Laffont s’y sont laissés prendre puisque celle qui sera pendant plus de 550 pages nommée Martie se retrouve affublée dès la première ligne du texte du prénom de Martine ! Comprenne qui pourra…

De fait, une représentation hallucinée du monde induisant chez tous les héros de l’ouvrage des «dysfonctionnements psychiques aigus», la tension face à ce vampire des âmes gagne le texte de page en page. Tentante et tenace invitation pour la raison à se contempler dans le miroir de la folie, qui ne lui est pas étrangère. Jusqu’au moment où on se dit que, parfois, ne pas se souvenir ou avoir «la mémoire qui flanche» est aussi une forme de liberté.

Mémoire truquée - Dean Koontz, Editeur : Robert Laffont  Année : 2001

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